- Te souviens-tu lorsque nous chevauchions dans la steppe,
fiers, farouches, les cheveux au vent, l’âme légère ?
Te souviens-tu de nos cris dans le glacial azur ? Entends-tu l’écho
de notre allégresse de jadis ? Sauvages et doux, nos chants résonnaient
jusqu’au soir dans les plaines givrées. Nous dévalions de blancs
espaces, entraînés par nos chevaux. T’en souviens-tu ? J’entends
encore hennir nos montures essoufflées.
Nous filions côte à côte à folle allure, rennes
en mains, coeurs dilatés. Dans un geste précis et périlleux,
nos lèvres se rencontraient parfois en plein galop : penchés
l’un vers l’autre à la vitesse du vent, nous échangions un
baiser dans le bruit des sabots. Fugitif et dangereux. Là, notre course
semblait se figer une seconde durant. Et cette seconde était une éternité.
- A quoi sert de rappeler ces choses révolues ? Il nous faut oublier
et avancer. Les regrets sont des herbes vaines, progressons plutôt.
- Je sais. Mais ces jours ne furent-ils pas les seuls qui méritent
que les siècles s’en souviennent ? Passagers de la toundra, maîtres
des grands froids, seigneurs des neiges, nous sillonnions des terres vierges,
insolites. Et devant nous, toujours, l’écume. A l’infini.
Rien n’entravait nos cavalcades. L’horizon seul bornait notre vue. L’immensité
était notre couche. Nous avions la Lune pour oreiller, des champs
d’étoiles en guise de toit. Nous respirions le vent, humions les nues,
transpirions coeur et âme, et allions nous abreuver directement au
ciel. Des flots d’azur nous coulaient dans les veines, notre pain quotidien
s’appelait chants, amour, liberté.
Je me souviens du vent qui chantait entre les rochers et dans le lointain,
plaintif.
Le soir, le violon d’Eole se taisait. Alors on entendait la musique silencieuse
des étoiles. Parfois la blonde Flâneuse veillait sur les étendues
gelées. Tout semblait se figer sous son éclat follet : la nuit
devenait un mystère. Elle se fondait avec l’Univers, devenait aussi
vaste que lui.
Enroulés dans nos fourrures, t’en souviens-tu ?, un feu couvait près
de nous, tel un ami vigilant. Nous refermions sur notre sommeil la tente
de peaux qui nous protégeait de ces froids mortels.
Nous sombrions dans un sommeil profond, enlacés jusqu’au petit jour,
épuisés par nos galopades fabuleuses. N’aimes-tu pas te remémorer
avec moi ces souvenirs heureux du temps passé ?
- Nos aventures sont finies. Ce temps est révolu, révolu à
jamais. Pourquoi refuser de s’y faire ? Nous ne chevaucherons plus à
travers la steppe que tu aimais tant, plus jamais. Et tu le sais. Tu le sais
et pourtant tu sembles ne pas le croire. Oublie donc tout cela et regarde
plutôt devant toi. Face à nous est un autre infini. Souviens-toi,
un matin nous ne nous étions pas réveillés. Le froid
nous avait ensevelis sous son manteau fatal.
Car tu sais bien que depuis des siècles nous sommes morts.
Raphaël Zacharie de Izarra
Dans sa démarche artistique, Raphaël Zacharie de Izarra dépose ses textes sur les livres d'or des sites internet. Nous avons voulu ici le présenter et le mettre en valeur.